Julien Vaïssette
Fanatique d'Excel, adepte de Camus & ingénieur en mécanique — Posez-moi toutes vos questions à l'adresse julien@construire-sa-moto-electrique.org, ou sur LinkedIn.
Angle de chasse, déport de la fourche, rayon de la roue avant et chasse : comment la direction assure l’équilibre de votre moto grâce à ces 4 paramètres.
Tout au long de votre lecture, gardez en tête que mon adresse e-mail est publique, et que vous pouvez m’écrire à tout moment. La voici : julien@construire-sa-moto-electrique.org. Vous pouvez aussi me contacter directement sur LinkedIn.
Tout ce qu’il faut savoir sur la direction d’une moto
Nous n’allons pas réinventer la moto. Nous allons donc suivre les mêmes règles mécaniques que les constructeurs, et la direction de notre moto électrique s’apparentera à tout ce qui s’est toujours fait.
Elle sera donc équipée d’une colonne de direction, d’une fourche, d’un guidon et d’une roue. Et c’est largement suffisant pour s’amuser.
Si vous ne me croyez pas, vous risquez d’être convaincus à la fin de cet article.
La direction d’une moto est une science en elle-même, passionnante et complexe. Et si vous pensez qu’elle n’est utile que pour changer de direction, vous risquez d’être servis.
La direction de votre moto électrique est régie par 4 grands paramètres, et nous allons les étudier sous toutes leurs coutures.
Le premier enjeu est évidemment la performance de la moto.
Mais ce n’est pas le seul. Une moto performante, c’est délicieux. Une moto qui ne tue pas, c’est encore mieux.
Voilà la promesse : à la fin de cet article, vous aurez acquis (sans souffrance) le savoir ancestral de la direction d’une moto.
Note : après 3 ans de travail & une conception aboutie de mon premier prototype de moto électrique, j’ai décidé de stopper mon journal de bord. Vous pouvez néanmoins retrouver les archives de ce journal de bord en cliquant ici.
Nous le savons bien, notre moto n’est munie que de deux roues.
Et nous l’avons vu quand nous avons étudié l’empattement, cette configuration – pas si intuitive – entraîne quelques conséquences.
La conséquence qui nous vient d’abord à l’esprit est l’équilibre.
Et au regard de ce qui se fait dans la nature, concevoir un véhicule à l’équilibre précaire est assez peu justifié. Voyez plutôt.
Prenez quelques instants, regardez autour de vous, et tentez de trouver un élément – vivant ou non – qui a besoin d’une aide extérieure pour garder son équilibre à l’arrêt.
Les animaux ?
Raté. En effet, quels que soient leur nombre de membres, ils sont à priori tous capables de rester debout lorsqu’ils sont immobiles.
Parmi ceux-là, le cheval est le champion des champions : lorsqu’il se tient sur ses 4 jambes, il ne consomme aucune énergie. C’est-à-dire que ses os s’empilent si bien que ses muscles n’interviennent pas dans cette position d’équilibre. Il n’est alors pas rare de voir un cheval dormir debout. Les suricates et les humains ont essayé à de nombreuses reprises, sans succès.
Ainsi, la nature a tendance à favoriser l’équilibre.
Un état de déséquilibre demande toujours plus d’énergie pour être maintenu, ce qui le rend moins durable.
C’est exactement pour cette raison que les voitures ont toujours été (et seront toujours) plus nombreuses que les motos : elles ne demandent pas de poser le pied à terre à chaque feu rouge.
Cette prise de conscience est nécessaire pour comprendre le rôle de chaque véhicule dans les solutions de mobilité.
Il paraît assez logique qu’un bus qui transporte plusieurs dizaines de personnes soit en parfait équilibre. Et pour y parvenir, il suffit de s’inspirer du cheval : 4 appuis au sol, le plus éloignés possible. De cette manière, le bus a un empattement et une envergure si conséquents que son équilibre est imperturbable. Et cet équilibre à l’arrêt se retrouve aussi dans ses mouvements.
Pour renverser un bus, il faut s’y donner à cœur joie, avec une générosité sans pareille.
La moto est l’exact opposé du bus : seulement 2 appuis au sol, assez rapprochés.Et donc rien de plus simple que de coucher une moto sur la chaussée. Il y a mille possibilités pour y parvenir, vous verrez, c’est un jeu passionnant.
Mais si le cerveau torturé de quelques humains a accouché d’un tel véhicule, et que ce véhicule s’est répandu comme une trainé de poudre, c’est qu’il y avait un besoin à satisfaire.
Un besoin de déséquilibre contrôlé.
Le bus qui nous amène à l’aéroport est bien pratique, car il est sûr. Et nous ne lui demandons pas mieux. Nous avons à ce moment-là l’envie légitime d’arriver en vie à l’aéroport – pour ensuite brûler avec gourmandise des tonnes de kérosène.
Mais imaginons que notre bus tombe par malchance sur un des tripodes qui nous ont tous fait frissonner dans La Guerre Des Mondes.
Ah oui, je ne vous le fais pas dire. Ça serait moins drôle.
Et je ne donne pas cher de notre vie, compte tenu du dynamisme de notre bus.
Alors que si nous avions été à moto, nous aurions pu tenter la grande évasion.
Ah bon ? Alors quand nous passons de la position affalée sur le canapé à la position allongée sur le lit, le trajet ne serait qu’une somme de déséquilibres ?
C’est pas faux.
Et ça fait sens.
Nous sommes satisfaits. Un petit Oréo pour fêter cette découverte ? – Non, très peu pour moi, j’ai arrêté.
Pour comprendre l’importance du déséquilibre dans le déplacement, imaginons une goutte d’eau. Elle vient d’être expulsée d’un nimbostratus, à quelques kilomètres d’altitude.
Son but, et nous nous devons de le respecter, est de rejoindre l’océan le plus proche.
Il faut la comprendre, elle a toujours eu besoin du support de ses frères et sœurs pour se sentir sereine. Manque de chance, le nuage qui l’a éjectée de son antre survole une chaine de montagnes. Ça aurait été pourtant plus simple si elle avait pu atterrir plus proche de sa destination finale.
Mais qu’importe, elle fera le nécessaire pour arriver à ses fins, dans la mesure du possible. Car elle n’est pas au bout de ses peines, et il lui reste un long chemin.
Voyons donc deux scénarios possibles :
Quel semble être le scénario le plus favorable ?
À vue de nez, c’est plutôt le sommet.
La raison est très simple : lorsqu’elle se pose sur le sommet, donc sur une pointe, impossible de trouver un état d’équilibre immédiat. Elle glissera donc de roche en roche, vers l’océan qu’elle désire tant.
Alors que si elle se pose dans la cuvette, elle se trouvera déjà dans un état d’équilibre. La cuvette forme un creux : la goutte aura alors toutes les difficultés du monde de sortir de cet équilibre.
Ainsi, pour se mouvoir, le déséquilibre – même relatif – est nécessaire.
Sans lui, nous restons des ours paresseux en pleine digestion, à goûter la chaleur du soleil sur une grève, bercés par la musique de l’eau qui court.
C’est exactement l’avantage compétitif de la moto sur les autres véhicules.
Ses déséquilibres incessants lui permettent une agilité dans les déplacements bien supérieure aux autres. Mais la contrepartie de ce déséquilibre constant est la nécessité de le maîtriser.
Allez dans une maternité, mettez un nourrisson sur ses deux pieds : il sera en déséquilibre. Et il tombera dans la plus complète incompréhension, car il n’a aucune maîtrise de cet état précaire. Impossible alors de se mouvoir efficacement.
La clé est donc de développer cette adresse.
Dans le cadre de nos motos, la maîtrise de ce déséquilibre est majoritairement permise par la direction – qui est d’ailleurs le fruit d’une mécanique presque horlogère.
C’est passionnant, nous y reviendrons plus tard, mais si vous êtes pressés, cet excellent article saura vous faire saliver.
Pour illustrer le grand rôle de la direction dans l’équilibre de votre moto, il suffit de jeter un œil à une discipline étonnante : le trial.
Son principe est aussi simple que curieux.
Les trialistes doivent traverser un circuit parcouru d’obstacles tous plus difficiles les uns que les autres, en posant le moins possible le pied à terre.
Note : il est commun de se moquer des pratiquants de curling qui jouent à lustrer une patinoire pour faire glisser un fer à repasser. Osons avouer que les règles du trial ne sont pas moins insolites.
C’est un sport impressionnant.
Il pousse à l’extrême la grande force de nos machines préférées, en démontrant par les faits qu’il n’y a pas plus agile dans toutes les situations. Mais il ne s’en satisfait pas, puisqu’il réduit à peau de chagrin la grande faiblesse des deux roues, en nous gratifiant nos yeux de prouesses équilibristes.
Et devinez quoi : outre une maîtrise incroyable de la répartition des masses de leurs corps, leur arme majoritaire est le guidon.
Ils le manient alors avec une précision frénétique, pour réaliser l’exploit de rester immobiles sur leurs deux roues, sans avoir à poser leur pied.
La direction de la moto, nous le verrons plus loin, permet de générer des forces dans tous les sens, plus ou moins favorables à l’équilibre du motocycliste.
Pour la plupart d’entre nous – les non-trialistes – il existe une autre démonstration sans appel de la prédominance de la direction dans l’équilibre : je pense évidemment au parcours lent du permis moto.
Cauchemar de tous ceux qui ne sont pas nés avec une moto entre les cuisses, le parcours lent consiste en un parcours jonché de slaloms, dont une portion doit être réalisée le plus lentement possible. Le chrono joue contre le candidat au précieux sésame, puisque la première portion du parcours doit être réalisée en un temps supérieur à 20 secondes (sauf erreur, je n’ai pas la mémoire des dates).
C’est à ce moment que le formateur donne ses conseils parfaitement abstraits pour qui panique face à la difficulté :
Le regard doit être porté le plus loin possible !
Ou encore :
Essaie de maîtriser ton centre de gravité !
En réalité, ces deux conseils sont surtout des conseils qui permettent de ne pas poser inutilement le pied à terre.
Les vraies raisons qui permettent de garder l’équilibre sont de respecter ces deux recommandations, puis de trouver comment jouer de l’accélérateur et du guidon pour ne pas perdre de points. Autrement dit, vous devez manier à la perfection la direction de votre moto.
La dynamique des motos est régie par des règles complexes, multi-contraintes, impossibles à décrire en quelques phrases. C’est pour cette raison que la maîtrise de notre bécane n’arrive qu’avec le temps et l’expérience.
Mais dans l’optique d’en concevoir une, nous avons la responsabilité de dompter chaque détail de sa dynamique, pour préserver la sécurité du motard au maximum.
Forts de cette prise conscience de la haute importance de la direction dans notre sécurité, il nous reste alors à étudier sous toutes leurs coutures les principes qui régissent la direction de notre moto préférée.
Arrêtons immédiatement le suspense, et dévoilons donc les 4 paramètres qui régissent la direction de notre future moto électrique :
L’ordre dans lequel j’ai énuméré ces paramètres n’est pas anodin, puisque les 3 premiers sont au service du quatrième.
Ainsi, la chasse (nous reviendrons plus loin sur ce que représente ce nom) est le point névralgique de la conservation de l’équilibre grâce à la direction de notre moto.
Puisque la chasse dépend des 3 autres paramètres, il est nécessaire de s’intéresser d’abord à eux avant de comprendre son influence. Commençons donc par le commencement : l’angle de chasse.
Outre son nom improbable, l’angle de chasse est une donnée majeure de la moto. En effet, lorsque nous voyons une moto, nos yeux ne se posent que sur certaines caractéristiques géométriques.
Les deux plus visibles sont la distance qui sépare les roues et l’inclinaison de la fourche.
Nous connaissons bien la première, que l’on nomme « empattement ». L’inclinaison de la fourche, est quant à elle baptisée « angle de chasse ». Ou plus précisément :
L’angle de chasse est l’angle formé par la colonne de direction avec la droite verticale de votre choix.
Comme vous le savez, nous ne sommes pas venus ici pour cueillir des pâquerettes.
Nous, notre dada, c’est de concevoir une moto électrique. Et pour concevoir une moto électrique, nous serions bien inspirés de savoir les différents angles de chasse que les motos qui peuplent fièrement nos routes.
Car à l’instar de l’empattement, chaque type de moto a son angle de chasse attitré :
Notons que ma classification ne prend pas en compte les angles de chasse qui se situent entre 19° et 21°, et entre 24° et 27°. Ce n’est pas un oubli, c’est juste un trou dans la matrice. Mais elle n’est pas de mon fait. Elle est en réalité le fruit de Vittore Cossalter, à qui j’ai emprunté nombre de tout ce dont nous parlons sur le site. Pardonnons-le donc, et gageons que nous n’aurons pas à utiliser ces angles de chasse oubliés.
À l’instar de l’empattement, l’angle de chasse a un rôle notable dans la rigidité structurelle d’une moto. J’y reviendrai dans un article spécifique, mais retenons ceci :
Plus l’angle de chasse est faible, plus il entraînera des déformations et des vibrations non désirées lors du freinage.
Nous voilà fort bien lotis.
Si toute cette histoire d’angle de chasse est claire comme de l’eau de source, vous pouvez passez à la suite. Mais si l’eau est encore un peu trouble, n’hésitez pas à me poser vos questions : julien@construire-sa-moto-electrique.org.
Passons donc si vous le permettez au deuxième paramètre de la direction de votre moto : le déport de la fourche.
Ce deuxième paramètre est l’apanage des connaisseurs. Au même titre que seuls les fans de Bilal Hassani reconnaissent son talent, seuls les initiés voient le déport de la fourche de leur moto.
Note : c’est exactement le même principe que lorsqu’un orateur a un tic de langue. Au début, on trouve sa démonstration assez convaincante. Il parle bien, il emploie des mots qui résonnent.
Puis on finit par observer qu’il a répété « m’voyez » au début des 3 dernières phrases. Ni une ni deux, nous enfilons notre costume d’agent d’écoute de la NSA, et nous attendons le prochain accroc.
Il vient de le répéter, plusieurs fois en moins d’une minute. Et nous n’avons rien entendu du reste de ses paroles. Nous n’entendons plus que ça. Alors que précédemment, ses mots coulaient avec tant de grâce dans nos oreilles.
Il en est toujours de même avec le déport de la fourche.
Avant, nous ne voyions rien d’autre qu’une fourche liée à une roue.
Maintenant, nous observons chaque moto, et nous baissons immédiatement les yeux vers ce qui nous intéresse : ce petit décalage entre l’axe de la colonne de direction et l’axe passant par le centre de la roue, rattrapé par divers moyens.
Le dessin nous montre avec une efficacité rare ce qu’est le déport de fourche. Et puisqu’une précision ne tuera personne, je vais aussi le répéter avec des mots, pour être sûr d’éviter toute confusion.
Le déport de fourche est la distance entre 2 droites parallèles : l’axe de la colonne de direction, et la droite passant par le centre de la roue avant.
Le dessin était plus clair ? J’en conviens.
Le déport de fourche est aussi appelé le déport de té, puisque c’est grâce à ce « té de fourche » que le déport est permis sur toutes nos motos.
Par soucis de simplification, nous ne le dessinons jamais sur nos schémas. Mais puisque je vous aime bien, je vais vous faire un dessin (et un seul) qui illustre le rôle du té dans le déport de fourche.
La colonne de direction est l’axe autour duquel tourne le guidon, lorsque nous lui appliquons une rotation. Une pièce métallique en forme de T – que l’on appelle donc té – fait la jonction entre la colonne de direction et la fourche.
Comme nous le verrons plus loin, il faut trouver une solution pour l’intégrer quelque part, puisque nous avons besoin d’un déport.
En bas, au niveau du centre de la roue, mettre un déport n’est pas une si bonne idée. Il devra alors être rigide pour supporter les efforts qui transitent, et qui dit rigide, dit volumineux. Et ça ne nous arrange pas trop à cet endroit d’avoir trop de volume. Alors le déport se fera au niveau du té, en décalant l’axe de la colonne de direction de l’axe de la fourche.
Le déport sera alors simplement la distance qui sépare la colonne de direction et la fourche.
Pour avoir un ordre d’idée, le déport qu’on trouve sur une Ducati 750 SS Carbu 1993 est de 30 mm. Voilà.
Facile, non ?
Arrivés ici, vous n’êtes théoriquement pas vraiment au point sur l’utilité du déport. N’ayez crainte, il n’y en a pas vraiment besoin pour la suite de cet article. En revanche, il y en a forcément besoin pour comprendre le fonctionnement global de votre moto. Qu’à cela ne tienne, j’écrirai un article dessus.
Ma foi, passons donc au dernier candidat : le rayon de la roue avant.
Et là, je n’ai pas grand-chose à vous apprendre. Notre moto électrique sera munie de deux roues, dont une roue avant et une roue arrière.
Le pneu avant est d’ailleurs plus fin que le pneu arrière. Et ça n’a aucun rapport avec le sujet d’aujourd’hui. Et j’y reviendrai. Donc nous pouvons enchaîner.
Voilà.
La roue avant est telle qu’elle est : ronde. Avec un rayon extérieur. C’est lui qui nous intéresse dans le mécanisme de la direction de votre moto.
Ni plus, ni moins. Et bon appétit.
Je ne vais cependant pas vous faire l’affront de dessiner le rayon extérieur de la roue avant, je ne me pardonnerais pas d’une telle provocation.
Ah si, en fait si. Juste pour le plaisir :
Notez que je persiste à mettre le déport de fourche en bas, et non au niveau du té. La raison est très simple : c’est plus facile à dessiner, et ça allège aussi le schéma.
Pas celle de Chasse Pêche Nature et Tradition. Je parle de l’autre. Je laisse le soin aux bons chasseurs de rosser des galinettes cendrées.
Récapitulons un peu, avant de passer aux choses sérieuses. Jusqu’ici, j’ai énoncé plusieurs points clés, qu’il est bon de se rappeler.
Les premiers concernent les missions de la direction de votre moto.
Le but d’une direction est double : vous faire tourner, et maintenir votre moto en équilibre.
La première mission est évidente, et nous avons entrevu au début de cet article la deuxième mission. Mais pour l’instant, rien de très scientifique.
J’ai aussi prophétisé l’importance capitale de la chasse, s’agissant de l’équilibre d’une moto. J’ai posé ça ici, comme un cheveu sur la soupe. Vous étiez donc obligés de me croire sur parole. Ce qui n’est pas non plus très scientifique.
Donc, en 3 points, et sur un rythme ternaire :
Ça fait donc 2 points pas si évidents que ça. Très bien, voyons si nous pouvons éclaircir ça. Et commençons par la chasse.
Je vous le donne en mille, la chasse est une longueur invisible à l’œil nu.
En effet, seul un dessin ou des lunettes de réalité augmentée peuvent révéler cette longueur, puisqu’elle est virtuelle.
La chasse est ainsi la longueur située entre le point de contact de la roue avec le sol, et le point d’intersection entre l’axe de la colonne de direction et la route.
Avec des mots, c’est aussi compréhensible qu’un film de Kubrick. Avec des traits, des ronds et des rectangles, c’est plus simple. Bienvenue en maternelle :
En rouge, on voit bien le point de contact de la roue.
Notons que ce point de contact est en réalité une zone de contact, comme nous l’avons vu dans l’article sur la résistance au roulement. Ce point est donc simplement un point moyen. C’est fatiguant de le préciser, mais c’est nécessaire.
Le point vert est le point d’intersection entre la route et la colonne de direction. Pour l’avoir, il suffit de prolonger la colonne de direction avec de majestueux pointillés vert.
La distance qui sépare le point rouge du point vert est donc la chasse, nous y arrivons enfin.
La chasse, comme toute longueur, a un signe. C’est-à-dire qu’étant mesurée à partir du point de contact, elle est positive ou négative selon le côté où le point vert tombe.
Si le point vert est devant le point de contact, alors la chasse est positive. Et inversement – les choses sont bien faites – elle est négative si le point vert passe derrière le point de contact.
Dans notre dessin, la chasse est donc positive. Et retenez-le bien, car ça a une importance capitale. CAPITALE, en lettres capitales.
On s’amuse bien. Je sais.
Voilà une bonne chose de faite.
Nous sommes en mesure de savoir ce qu’est une chasse. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Et pour vous en convaincre, je vais vous proposer, une fois n’est pas coutume, d’enfourcher votre moto.
Vous me demandez si une moto électrique est nécessaire pour cet exercice ? Oh non, pas du tout. Pas de communautarisme, les motos sont toutes sœurs. Fluctuat nec murgitur, vous connaissez le refrain.
Vous êtes donc confortablement installés sur votre moto.
Vos cuisses se sentent comme chez elles, vous êtes en paix, sur votre plus fidèle lieutenant. Voyons s’il est aussi fidèle que ce que vous prétendez.
Et rendons-nous à Gruissan, dans l’Aude.
Pourquoi là-bas ? Simplement car c’est un spot bien connu des kitesurfeurs et de l’armée d’Éole. Les vents se ruent avec gourmandise sur les inconscients qui s’amusent à gonfler leur voile et glisser sur l’eau peu profonde.
Revenons-en alors à notre moto.
Vous êtes sur cette route légendaire qui longe les eaux fouettées par les vents. Cette route est malmenée tout au long de l’année par les caprices bien connus de la mer, ce qui lui a d’ailleurs valu quelques cicatrices qui la jonchent çà et là.
Je vous propose donc de démarrer votre bolide, et d’avancer.
Voyons ce qu’il se passe.
Ah, oui. Nous pouvions nous y attendre.
Le vent souffle depuis la droite de votre moto. Il est si fort que cela a valu à votre roue avant de pivoter, vers la gauche. Très bien.
La question est alors de savoir si ce contre-temps vous a coûté une chute, ou une simple embardée plus ou moins maîtrisée.
Et là, c’est beaucoup moins drôle.
Car l’enjeu n’est pas de savoir si notre moto est plus puissante que celle de tonton Richard, mais plutôt de savoir si nous allons mettre notre vie en danger.
À l’endroit où nous nous trouvons, la route est plate et propre. Le point de contact de la route avec le sol est donc situé exactement à la verticale du centre de la roue. Ce qui simplifie largement les choses.
Au moment où le vent agit sur la roue avant et la fait pivoter, la moto continuera d’avancer tout droit pendant quelques microsecondes. C’est ultimement important de le noter, car c’est ce phénomène qui va entraîner toutes les conséquences que nous allons étudier.
Autrement dit, la vitesse d’avancée est parallèle à l’axe de la moto.
Sur le dessin, nous voyons bien le point rouge, qui représente le point de contact. Il est bien à la verticale du centre de la roue, bien centré.
Mais, il y a un mais. Car la roue avant ne s’est pas arrêtée de tourner sur elle-même. Et par malheur, elle n’est plus orientée dans la même direction que la vitesse de la moto.
Elle continue de faire le job pour lequel on l’a recrutée : accrocher le sol pour faire avancer la moto.
La roue est orientée vers la gauche. Ce qui veut dire que cette même roue essaie de tirer la moto dans sa direction, comme le schéma suivant l’illustre :
Dans le schéma, je parle de vitesse de roulement, et ce n’est pas pour rien. Car comme toute action mécanique, la roue qui agit sur le sol a un impact sur le comportement de la moto. La roue tire dans sa direction, elle tire donc la moto à une certaine vitesse. Et vous l’aurez compris, cette vitesse s’appelle « vitesse de roulement ».
Le problème que vous devez voir venir, c’est que la direction de la vitesse de roulement n’est pas la même que la direction de l’avancée de la moto.
Car pour rappel, la moto continue d’avancer tout droit, quelques instants après que la roue ait tourné.
Bon.
Avant de s’arracher les cheveux, un petit bilan de ce que ça implique :
En d’autres termes, la vitesse de roulement est une composante de la vitesse d’avancée de la moto.
Le problème, c’est que ces deux vitesses ne coïncident pas. Ça veut donc dire qu’il y a un autre phénomène qui se rajoute, pour rattraper le décalage entre elles.
Pour visualiser ce phénomène, il suffit de le dessiner.
Pour ça, c’est assez simple. Tout d’abord, il faut coller la flèche rouge (la vitesse d’avancée de la moto) à la flèche orange (la vitesse de roulement). Ensuite, on vérifie bien qu’elles sont dans 2 directions différentes. Enfin, on crée alors une autre flèche orange, qui permettra de rattraper la flèche rouge. Pas simple ? Ah bon ?
Gageons que le dessin sera un peu plus éclairant.
Et là, c’est un peu plus clair.
VR est la vitesse de roulement, V est la vitesse d’avancée de la moto. On voit bien qu’elles partent dans 2 directions différentes. Pour les faire coïncider, il faut donc une flèche Vg perpendiculaire au plan de la roue.
En clair, ça veut dire quelque chose de très simple : puisque la roue ne tourne pas exactement dans la même direction que l’avancée de la moto, alors elle glisse forcément.
Et cette fois, elle ne glisse pas comme sur une patinoire (comme nous l’avons étudié ici), mais elle glisse latéralement. C’est-à-dire qu’elle drifte, à l’insu de tout le monde.
C’est assez faible pour être invisible à l’œil nu, mais ce glissement existe. Et c’est lui qui nous intéresse.
Alors regardons-le de plus près :
Bien. Mais pas suffisant.
Car quand je vois ce dessin, je sens qu’il y a embrouille. Et elle n’est pas forcément toujours drôle cette embrouille. Je vais vous raconter ce que je sens venir, vous pourrez juger par vous-même.
Lorsque vous jouez à Mario Kart, il n’y a qu’une manière de savoir si vous êtes bons : votre comportement en virages (c’est valable pour tous les jeux de course d’ailleurs). Il y a ceux qui restent appuyés sur l’accélérateur, en mode bourrin. Ceux-là, ils méritent toute la sympathie du monde. Jouer contre eux est si simple, on finit toujours par gagner.
Et puis il y a ceux qui appuient sur R1.
À la manière de Sébastien Loeb, ils dérapent à chaque virage pour maîtriser leur trajectoire. C’est tout un art. Appuyer quand il faut, et relâcher la gâchette au bon moment. Et c’est là que je veux en venir.
Quand vous dérapez, votre Luigi et son scooter glissent. Ça, vous le sentez intuitivement.
Ce que vous sentez aussi, c’est que si vous restez trop longtemps appuyés sur le bouton, vous allez perdre du temps. Car plus longtemps la moto glisse, plus elle perd en vitesse.
Le sol n’est pas tendre, il ne vous laissera pas glisser à l’infini. Ça veut bien dire ce que ça veut dire : le sol oppose une résistance au glissement.
Cette résistance se matérialise par des frictions, qui varient selon le sol. La patinoire sera plus libérale que le bitume, je ne vous l’apprends pas. Et puisque cette friction est capable d’éteindre vos plus grandes envies de glissement, il y a forcément une composante qui s’oppose au glissement.
En somme, pour en revenir à notre moto sur les routes de Gruissan, il y a une force de friction générée par le contact entre le pneu et le sol. Et une partie de cette force est dans le sens opposé à la vitesse de glissement latéral du pneu.
Tadam ! Nous y sommes. C’est cette force de friction latérale qui nous intéresse dans l’étude de l’équilibre de la moto.
Vous ne le voyez pas encore ?
C’est assez normal.
Alors prenez une marmite. Mettez un soupçon de force de friction latérale. Saupoudrez ensuite avec un peu de chasse. Mouillez, couvrez. Et paf, vous aurez un moment d’alignement, si vous êtes chanceux. Sinon, ça sera du désalignement.
Et là, la chute est inexorable.
Bon, je vois bien que ma potion magique n’était pas très éclairante sur notre sujet. Alors entrons dans les détails, et nous y verrons bien mieux, assez rapidement.
Mon incantation a parlé d’un zeste de chasse. Alors reprenons notre moto vue de dessus, et voyons ce que la chasse peut bien avoir à faire.
Dans l’optique de simplifier la compréhension, je l’ai épurée de tout ce qui ne nous servirait pas dans notre raisonnement. Il ne reste donc plus que tout ce qui travaille à la direction d’une moto : la roue, le guidon, la fourche.
Ce n’est d’ailleurs pas plus mal de dessiner la chasse depuis un autre point de vue. Ça permet de réviser un peu.
La chasse donc, pour rappel, est la distance qui sépare le point de contact de la roue avec la route (en rouge), et le point de pivot de la roue (en vert).
Pourquoi point de pivot ?
Simplement car il est l’intersection entre la colonne de direction et la route. Ce qui veut dire que quand on tourne le guidon, c’est forcément autour de ce point vert que l’on tourne.
Fort bien. Je crois que ce petit rappel était nécessaire.
Maintenant que nous sommes à nouveau au clair sur la chasse, remettons-y de la force de friction. Cette force de friction qui, j’ai honte de le rappeler, s’applique au niveau du point de contact. Voilà. Vous me voyez venir.
Exactement. Le dessin a tout dit.
Et même s’il a tout dit, je vais le redire. Ne serait-ce que pour le plaisir de dire inefficacement ce que le dessin dit efficacement.
Nous sommes en occident. Alors lisons le dessin de gauche à droite.
À gauche, rien de neuf. J’ai repris le dessin du dessus, avec le point vert de pivot, et le point rouge de contact. J’y ai ajouté la force de friction latérale, au niveau du point rouge.
Et oui, exactement !
Cette force est déportée par rapport au point de pivot. Ce qui veut dire qu’elle entraînera nécessairement un moment, autour du point vert, que l’on voit sur le schéma de droite.
Pour rappel, un moment est simplement le nom qu’on donne à une action mécanique qui engendre une rotation.
C’est le cas ici, et c’est dessiné sur la droite du dessin.
La force de friction latérale a créé un moment, autour du point vert. Et si vous y regardez de plus près, vous réaliserez que le sens de la rotation du moment est opposé à la rotation du guidon.
Ce qui veut dire que dans ces conditions, la roue se réaligne d’elle-même, vers sa position d’origine, alignée à la moto. Ce réalignement donne au moment ce nom salvateur de « moment de réalignement ».
Et tout le monde est content.
Car le vent de Gruissan ne vous fera pas échouer sur l’asphalte comme un cétacé fatigué. En d’autres termes, vous avez été sauvés par le moment de réalignement de votre roue avant, qui a rechigné à tourner dans la direction que lui dictait le sol.
Note : il est bon de noter que si la roue refuse de tourner quand c’est le vent qui lui impose, elle fera exactement pareil avec vous. Ce moment de réalignement s’applique aussi quand vous cherchez à tourner votre guidon.
Mais attendez… Et si la chasse était négative ?
Ou dit autrement, si le point de pivot passait derrière le point de contact ?
Aïe.
Cette fois, la force de friction fait pivoter le guidon autour du point de pivot, qui est situé derrière elle. En agissant ainsi, cette coquine engendre une rotation du guidon, dans le même sens que la rotation générée par le vent.
Et là, c’est fatal. Je ne donne pas cher de votre dignité.
Avant même d’avoir eu le temps de compter jusqu’à 648, vous serez couchés au sol, à goûter aux embruns marins avec les genoux râpés. C’est une défaite d’anthologie, vous ne l’aviez pas vue venir.
Et vous êtes en colère.
Car vous pensez que cette chute aurait pu être évitée, puisque c’est la faute à la chasse négative de votre moto. Le concepteur a donc mal fait son boulot. Il aurait dû mettre une chasse positive.
Ah, vraiment ?
Ben oui, c’est pourtant simple : puisqu’une chasse positive permet un réalignement de la moto par elle-même, alors qu’une chasse négative augmente le risque de chute, il suffit de que la chasse soit positive !
Ce raisonnement est implacable. Pourtant, comme bon nombre de raisonnements implacables, il faut s’en méfier.
Figurez-vous que les concepteurs de motos ne sont pas fous. Et ils mettent toujours une chasse positive à leur moto. Elle est simplement plus ou moins grande.
Mais alors, une chasse négative, ça ne devrait jamais arriver, si ?
Eh bien, si.
Pour la bonne raison qu’une route n’est jamais parfaite. Nous l’avons vu, la chasse est une longueur virtuelle. Vu autrement, c’est une longueur qui change constamment, selon les conditions de chaussée.
Car vous le savez aussi bien que moi, le point de contact du pneu avec la route bouge. Il est libre, Max.
Tenez, prenons cette moto, en sortie d’usine. Toute fringante, et fièrement érigée sur un sol propre :
Elle est euphorique, et sûre d’elle.
Après avoir été conçue avec le plus grand soin par son papa, sa confiance en ses capacités est infinie. Et son père créateur a bien fait les choses. Vous pouvez voir que sa chasse est effectivement positive, puisque le point de pivot vert est placé devant le point de contact rouge.
Puis les ennuis finissent toujours par arriver.
Et v’là-ti-pas qu’un jour, la bougresse se cogne à un dos d’âne. Simple formalité se dit-elle, une fois le dos d’âne traversé. Mais quelques jours plus tard, elle reçoit un courrier dans sa boite aux lettres.
C’est un lanceur d’alerte.
Il lui a envoyé un cliché d’elle, pris au moment exact où elle avait abordé le ralentisseur, plus tôt dans la semaine. Le message y est très clair : sa conception n’est pas si parfaite, puisque sa chasse est devenue négative lors du passage de l’obstacle.
Ce boute-en-train de point de contact, a décidé de s’avancer.
Il a même eu l’audace de passer devant le point de pivot. Il aurait donc suffi d’un coup de vent ou d’un caillou plus gros que les autres, pour faire perdre la vie. Sueurs froides. Pour la moto, et pour son propriétaire.
En d’autres termes, puisque le point de contact se promène à son gré, il faudrait éloigner au plus possible le point de pivot du point de contact, et donc allonger la chasse au maximum.
D’ailleurs, vous noterez sur le dessin que le point rouge est maintenant plus haut que le point vert.
Du coup, mesurer la chasse horizontalement est beaucoup moins pertinent. Nous allons nous en contenter pour cet article, mais sachez qu’il existe justement une chasse qui prévoit ça. Elle s’appelle « chasse mécanique ».
Mais nous le verrons plus tard. Revenons à nos moutons.
Une erreur commune est celle de découvrir un marteau, et prendre tout ce qui nous entoure pour des clous. On tape, on tape, et on tape encore, fort contents d’avoir trouvé un outil qui répond à tous les problèmes.
En réalité, il parait complexe de réparer une télé en tapant dessus avec un marteau. C’est même assez déconseillé. Alors de grâce, ne répétons pas cette erreur.
Oui, certes, il est déconseillé d’avoir une chasse trop faible sur une moto.
Ce n’est pas pour autant que la chasse peut être allongée comme une contorsionniste russe.
La raison est très simple : quand nous augmentons la chasse, nous augmentons nécessairement l’empattement. Nous avons aussi vu dans cet article qu’augmenter l’empattement entraîne une tenue de route pas désagréable. C’est indéniable.
Ce qui est d’autant plus agréable, c’est qu’augmenter la chasse permet aussi d’augmenter la stabilité, puisque ça rend la moto moins vulnérable aux sols accidentés. Mais ce même article nous apprend aussi qu’un empattement trop généreux rend la moto moins manœuvrable et plus paresseuse dans les courbes.
Nous en venons alors toujours à la sempiternelle chopper américaine. La chasse souffre effectivement de gigantisme, tout comme l’empattement.
En réalité, la chasse et l’empattement sont les deux côtés d’une seule et même pièce :
En somme, il n’y a pas de solution optimale qui marche pour toutes les motos. Et c’est très bien comme ça.
Chacun d’entre vous choisirez donc l’empattement et la chasse de votre moto, de manière à réagir au mieux aux conditions dans lesquelles vous roulerez.
Nous en faisons donc l’expérience : la géométrie d’une moto est le fruit de mille compromis.
Ni trop, ni trop peu. Pas trop grand, pas trop petit. Ni trop faible, ni trop glycérine. Ne vous retenez pas de rire, c’est permis.
Dans ce chapitre, on sort la calculette. Alors avant d’y foncer tête baissée, je voudrais m’assurer que tout est bien compris jusqu’ici. Posez-moi toutes vos questions : julien@construire-sa-moto-electrique.org.
Si vous n’en avez pas, alors on avance.
La chasse et l’empattement sont donc inextricablement liés.
En effet, ils répondent exactement aux mêmes enjeux. Trop grands, ils réduisent le confort de conduite ; trop faibles, ils augmentent la vulnérabilité de la moto.
Mais les deux suivent une même logique. Et ça tombe assez bien, puisque ça permet de simplifier la conception.
L’idée est alors de choisir l’empattement, grâce toutes les données auxquelles nous avons accès.
Picasso le dit très bien :
Les bons artistes copient, les grands artistes volent.
Faisons nôtre sa prophétie, et volons donc les longueurs d’empattement des motos dont la géométrie répond parfaitement à notre cahier des charges. On pourra s’amuser plus tard à faire varier cette longueur, dans une optique d’optimisation.
Ensuite, on peut trouver la valeur de la chasse.
On peut à nouveau la voler, si ça nous amuse. Mais c’est moins drôle.
Il y a plus élégant : connaître le ratio Rn que l’on veut donner à notre moto, et ensuite obtenir la chasse idéale par un calcul rapide.
C’est super, mais c’est quoi Rn ?
Tuons le suspense dans l’œuf dès maintenant. Non, Rn n’a rien à voir avec la France Bleu Marine. Vous faites ce que vous voulez de vos bulletins, c’est à vos risques et périls.
Le Rn est bien plus utile que ça, puisque c’est un rapport qui relie la chasse à l’empattement :
R_n = \frac{a}{a+p}Rn : le rapport qui relie chasse et empattement (je n’ai pas mieux comme nom)
a : la chasse (en mm)
p : l’empattement (en mm)
Nous voilà bien avancés, puisque nous savons qu’il existe un rapport qui relie l’empattement à la chasse.
C’est-à-dire que si nous connaissons l’empattement, et si nous savons la valeur que nous voulons donner au rapport, nous pouvons calculer la chasse.
Excellent.
Mais pour l’instant, nous n’avons aucune idée des valeurs que nous pouvons bien donner à Rn. Puisque c’est si poliment demandé, je vais établir une liste des rapports Rn communément observés :
Ainsi, la chasse et l’empattement offrent finalement assez peu de marge de manœuvre. Il y est question de compromis, et d’arbitrages pour essayer de tirer le meilleur de la moto, selon les conditions d’utilisation.
Voyons donc ce qu’il en est.
Jusqu’à présent, j’ai parlé de chasse à toute berzingue, sans jamais dire comment la calculer.
C’était bien, j’ai bien aimé. Mais le temps est venu de vous confier ce secret que l’on se transmet de druide en druide.
La chasse est une longueur virtuelle, vous l’aurez retenu.
Mieux encore, c’est une longueur obtenue en traçant des triangles rectangles. En d’autres termes, un élève de 3ème est capable de la calculer. Mais nous nous prenons déjà bien assez la tête à vouloir faire rouler notre moto électrique, ne nous embêtons donc pas à (re)démontrer comment on obtient la chasse.
Sans plus attendre, voici donc sa formule :
a = R_f tan(\epsilon)-\frac{d}{cos(\epsilon)}a : la chasse (en mm)
Rf : le rayon de la roue avant (en mm)
\epsilon
: l’angle de chasse (en ° ou en radians, à votre guise, il faudra simplement régler votre calculatrice dans la bonne unité)
d : le déport de fourche (en mm)
Nous en avons donc maintenant la preuve, la chasse est bien le fruit d’un calcul mêlant l’angle de chasse, le rayon de la roue et le déport de fourche.
Et qui dit calcul, dit optimisation.
Car comme nous l’avons vu juste avant, nous avons une idée de la chasse que nous voulons obtenir. Étant donné que la chasse est le résultat du calcul précédent, il va falloir faire varier les 3 paramètres au mieux possible pour atteindre la chasse voulue.
On veut un peu augmenter la chasse ?
Il suffit donc de diminuer le déport, ou d’augmenter le rayon de la roue, ou encore d’augmenter l’angle de chasse.
Ça laisse donc beaucoup de choix, et de possibilités.
On peut même dire qu’il y a une infinité de combinaisons entre ces 3 paramètres. D’autant que nous savons à peu près la valeur que nous voulons donner à notre angle de chasse.
Puisque nous avons mille combinaisons, l’objectif sera de choisir la meilleure. Qui sera elle aussi le fruit d’un compromis.
Alors je veux bien passer quelques nuits blanches à optimiser au millimètre tous les paramètres de notre moto électrique, pour qu’elle remplisse sa mission du mieux possible.
Nous l’avons vu tout au long des 2 articles qui traitent ce sujet, la géométrie est donc le théâtre de tractations invisibles de toutes parts. Nous n’en avons pas conscience à première vue, et c’est pas plus mal ainsi.
Car la moto, au même titre que tous les autres moyens de transports, peut s’avérer fatale pour les plus malchanceux.
Chaque détail doit alors être étudié finement pour minimiser le risque, et maximiser la sécurité. Mais surtout de produire un véhicule performant, capable de vous amener à destination dans les meilleurs délais.
Le concepteur a donc pour objectif d’envoyer le motard d’un endroit à un autre, dans un temps compétitif, et en un seul morceau.
La géométrie permet justement d’optimiser au mieux ce rapport performance/sécurité, si important.
C’est un sujet passionnant, de mécanique pure, mais finalement pas si difficile à appréhender.
Alors maintenant, quand vous croiserez une moto (ou pourquoi pas un vélo), vous vous surprendrez à regarder inconsciemment le déport de fourche, et le légendaire té.
Mais au lieu de vous faire la remarque seul dans votre tête, je vous propose de rejoindre mon journal de bord, et les quelques milliers de passionnés qui le lisent. J’y raconte la conception de mon prototype de moto électrique, et j’y explique toutes les péripéties techniques que je rencontre.
Pour ça, il vous suffit de laisser votre e-mail juste en dessous.
Au fil de mes e-mails et des discussions, vous en saurez plus que 99% des gens qui vous entourent sur ce sujet passionnant. Et ça, c’est pas rien.
Note : après 3 ans de travail & une conception aboutie de mon premier prototype de moto électrique, j’ai décidé de stopper mon journal de bord. Vous pouvez néanmoins retrouver les archives de ce journal de bord en cliquant ici.
On se retrouve de l’autre côté, si le cœur vous en dit.
Mon adresse e-mail est publique, et vous pouvez m’écrire à tout moment. La voici : julien@construire-sa-moto-electrique.org. Vous pouvez également me contacter sur LinkedIn.
Bonjour Julien
Par hasard je suis tombé sur ton site et je me prends au jeu de lire toutes les rubriques car tes explications sont claires et enrobées d’une pointe d’humour.
Le schéma que tu as fait pour simplifier l’explication du déport de fourche illustre une réalité des années avant 1990.
A cette époque, pour augmenter le débattement de la fourche avant sur les motos type cross, enduro, trial et trail sans augmenter leur garde au sol (le grand bi, c’est fini!), les constructeurs remontent l’ancrage de l’axe de la roue avant le long des fourreaux de fourche et en avant de ceux-ci. Cette modification crée un déport de fourche qui s’ajoute à celui créé par le té de fourche.
Depuis 30 ans environ, les fourches inversées sont utilisées sur les motos de cross, elles permettent un débattement suffisant donc le déport de l’ancrage de l’axe de la roue ne devrait plus être utilisé et pourtant il est toujours présent? (https://www.team-menduni.com/moto-cross-yamaha/moto-cross-yz250-2023-yamaha)
Bonne continuation à toi,
Jean-Paul
Bonjour Jean-Paul, merci pour cette précision, c’est très intéressant !
Bonjour Louis,
Remonter les tubes de fourche dans les tés réduit la longueur de la fourche avec pour conséquence une rotation de la colonne de direction autour de l’axe de la roue arrière. Plus tu remontes les tubes (pas trop quand même si tu veux éviter que le haut des fourreaux tapent dans le té inférieur!), plus l’axe de la colonne de direction se rapproche de la verticale et plus l’angle de chasse diminue. Je ne saurais pas dire si cette modification de l’angle de chasse est significative. Une solution pour conserver la valeur de l’angle de chasse d’origine serait de diminuer dans les mêmes proportions le débattement arrière.
cordialement,
Jean-Paul
Bonjour Julien
Je découvre ton site et tes explications par hasard et je suis ravi de trouver de la pédagogie dans la bonne humeur. Dans les années 80 Bimota constructeur de châssis de compétition s’était essayé à utiliser des tés qui permettaient d avoir un angle de fourche différent de l angle de colonne. Sans grand succès de mémoire. C’était pour l’anecdote! Bonne continuation!
Philippe
Bonjour Philippe, la cinématique de ce genre de solutions est toujours fascinante mais en effet, le succès est rarement là 😉
Pour le poids, je vais être plus lourd à beaucoup plus lourd puisque j’ai déjà 30kg de moteur et batterie. Par contre, pour le centre de gravité je vais être plus bas à beaucoup plus bas. Bon de toute façon il faut bien partir sur quelque chose. Je me demande toutefois, si je n’ai pas intérêt à concevoir une chasse réglable dans le cadre du proto pour réaliser plusieurs essais. J’ai peur de me planter en fait et à priori il n’existe pas de calcul théorique pour affirmer que pour tel ou tel projet, c’est tel ou tel angle de chasse qu’il faut prendre.
Oui je crois que le mieux est que fasses ton prototype avec cette base, et tu aviseras ensuite 🙂
Bonjour,
Je suis en cours de réalisation d’un prototype électrique également. Cela fait 18 mois que je bosse dessus maintenant et nous en somme à la fixation du train avant et à la détermination de l’angle de chasse.
Je me suis inspiré du tandem electrique Moustache, car notre empattement est à peu près similaire, à savoir 1850 – 1900mm. Moustache donne suffisamment d’éléments pour que l’on puisse recalculer la chasse qui est de 72mm et un rapport Rn à 3.7%.
J’ai bien envie de partir sur les mêmes bases mais sachant que je suis en 17 pouces est-ce que à chasse et Rn équivalent, je vais avoir le même comportement ?
Merci.
Vincent
ps : il y a un plugin pour calculer ? Je n’ai pas trouvé sur votre site.
https://carbone0.fr
Salut Vincent,
Oui si tu gardes le même empattement et la même chasse (et bien sûr le même poids et le même emplacement du centre de gravité), tu auras exactement le même comportement !
Quant au plugin, je parlais seulement du plugin que j’utilise pour afficher les équations sur mon site 😉
Bonjour, dans le cadre de mes études, je réalise un projet où je dois réaliser un châssis pour un scooter électrique. En lisant l’article, je me rends compte que je n’avais pas pris en compte la partie géométrie du chassis et ses impactes sur la direction et la sécurité.
Je voulais savoir s’il était possible d’avoir les deux formules liant l’angle de chasse et l’empattement. Elles ne s’affichent pas a la lecture.
Cordiallement
Bonjour Matthieu,
Arg, le plugin refuse de fonctionner sur certains navigateurs… Essaie de les voir sur un autre navigateur et sinon, envoie moi un mail et je t’enverrai les screenshots 🙂
Bonjour Julien,
Non, il n’y a pas de modification au niveau des Tés, il s’agit simplement de baisser un peu l’avant de la moto en remontant les tubes de fourche.
Aussi, à la troisième lecture j’en déduis que l’angle de chasse restera identique, idem pour la chasse à la roue avec le montage en 19 pouces …
Une relecture approfondie m’aurait sans doute évité de poser la question …, en tout cas merci pour ton retour.
Bien à toi,
Louis
Je pense aussi que ça ne change rien dans ce cas. Merci encore pour ton commentaire ! 🙂
Bonjour Julien,
C’est un excellent article, très détaillé et parfaitement rédigé (dans le fond et dans la forme).
Ce serait prétentieux d’affirmer que j’ai tout saisi à la première lecture, mais d’emblée c’est beaucoup plus clair.
Toutefois, en comparant les fiches techniques de deux modèles Moto-Guzzi (V9 Roamer et Bobber), qui utilisent le même châssis, on obtient les données suivantes:
Angle de chasse: 26,4° logique, c’est le même cadre.
Chasse à la roue: 116,1 mm pour la Bobber équipée avec une roue de 16 pouces, et 125,1 mm pour la Roamer équipée d’une roue de 19 pouces.
Cette différence résulte bien évidemment du Ø de la roue qui passe de 16″ à 19″.
En revanche, est-ce que le fait de remonter les tubes de fourches dans les Tés, disons 40 à 50 millimètres pour baisser l’assiette de la moto, modifiera la chasse à la roue?
Ci-dessous le lien des deux fiches techniques, et je n’ai pas réussi à trouver la longueur de la fourche.
http://www.lerepairedesmotards.com/technique/fiches/tech-moto-guzzi-v9.php
Sincères salutations,
Louis
Bonjour Louis,
Merci pour ton commentaire !
Quand tu parles de remonter les tubes de fourche dans les tés, est-ce que la position des tés change par rapport au sol ? Que je sois bien sûr de comprendre de exactement l’opération 😉
Bonjour. Beau travail ! Bien expliqué. J’ai quand même quelques questions…
Quand les tubes de fourches ne sont pas parallèles à la colonne de direction , ça donne les mêmes résultats ?
Vos donnez des chasses et angle de chasse de divers modèles de motos, connaissez vous ceux pour les trials ?
Bien cordialement
Salut René,
Merci pour ton commentaire !
Pour ce qui est de tes questions :
– Non ça ne donne pas les mêmes résultats car ça avance le point de contact de la roue sur le sol, mais on peut tout recalculer en faisant un modèle géométrique assez simple (ou alors, sur un logiciel de 3D, tu peux tout tracer et mesurer tes différentes longueurs),
– Et je ne les connais pas non, le trial n’est vraiment pas mon domaine…
Sauf que l’on peut jouer sur les tés. Dans le monde harley certains kits permettent d’augmenter le rake ou angle de chasse sans augmenter Exagérément la chasse sans toucher à la colonne de direction d’origine soudée sur le cadre, ensuite pour garder la moto on diminue la hauteur à l’arrière où on augmente la longueur de la fourche on peut aussi jouer du le diamètre des roues.
Salut Jean-Louis,
Oui, complètement !
Bjr, angle de chasse ou angle de colonne de direction ? …ce qui prêterait moins à confusion !
Enfin je suis presque sûr de cette appellation, merci de confirmer.
Cdt et chapeau pour le boulot didactique.
Bonjour, alors en réalité, c’est censé être deux choses différentes car l’angle de chasse est l’angle formé par la fourche. Mais en pratique, la colonne de direction et la fourche sont toujours parallèles, donc angle de chasse et angle de colonne de direction sont égaux 🙂
Et merci pour ce compliment, ça fait vraiment plaisir !